Avec Syngué Sabour, Atiq Rahimi réalise deux coups de maître : un roman (prix Goncourt 2008) écrit en français et une superbe adaptation cinématographique en persan.
« Syngué Sabour », c’est l’histoire d’une pierre magique que l’on place devant soi et à qui l’on parle. On déverse sur elle ses peurs, ses secrets, ses envies. Un jour, la pierre éclate et libère l’être.
Un roman, un film : deux versions différentes s’étonne-t-on parfois ! L’auteur réalisateur s’en explique au festival Etonnants Voyageurs de St Malo. «J’ai voulu faire quelque chose de différent. Cela aurait été un total ennui de répéter la même histoire deux fois». Bien souvent les gens sont déçus lorsqu’ils voient l’adaptation d’un livre au cinéma. En général, ils regrettent que le réalisateur ne colle pas au texte du livre. Volontairement, Atiq Rahimi n’a pas voulu rester fidèle à son roman car pour lui, c’est tout simplement impossible. « La littérature a son univers et le cinéma a une autre manière de raconter les histoires. Chaque art, que ce soit la photographie, le théâtre, le cinéma, a la même réalité mais il en donne une autre dimension. La structure narrative d’un film est très différente de celle d’un roman. Par ailleurs, j’ai toujours un amour pour cette femme et pour mon personnage. J’ai donc voulu lui donner une autre vie, une autre chance». Avec beaucoup d’humour, Atiq Rahimi a voulu rassurer son public : « si la fin est ouverte, ce n’est pas pour tourner Syngué Sabour 2 » Nous voilà rassurés !
Atiq Rahimi et Jean Claude Carrière parlent sur le thème du roman avec le journaliste Yann Nicol. Impossible de ne pas rencontrer l’auteur franco-afghan au festival Etonnants voyageurs de cette année ! Avec dix conférences, Atiq Rahimi est la véritable coqueluche du festival malouin. Crédit photographique : © 2013 Véronique Samson.
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Mais en en quoi différent les deux versions si ce n’est cette fin plus optimiste ? Pour traduire la voix intérieure de cette femme, qui n’a pas de nom et qui symbolise toutes les femmes, Atiq Rahimi a transformé le monologue en un dialogue avec l’homme, sans nom, qui gît au sol. Dans le film, il s’agit « d’un dialogue avec le silence de l’homme ». Par ailleurs, il a changé de point de vue. Dans le roman, le narrateur ne quitte pas l’appartement. On perçoit l’extérieur à travers un rideau, on apprend que cette femme va chez sa tante mais nous n’avons que des bribes du monde extérieur. Par contre, dans l’adaptation cinématographique, la caméra suit cette femme dans la rue, au delà du portail de la maison, dans les rues où se manifeste la guerre. Le réalisateur franco-afghan montre l’univers de la femme de manière plus précise alors que dans le roman, le lecteur ou la lectrice ne peut que s’imaginer un environnement extérieur. Le film change donc de perspective et donne une autre dimension tout en gardant l’esprit du roman.
Jean Claude Carrière, qui a collaboré au scénario et Atiq Rahimi ont réalisé un réel coup de maître. En relisant le roman, nous prenons conscience que ces deux œuvres ont vraiment des vies différentes. Nous ne voyons pas du tout le film se dérouler devant nos yeux, lorsque nous (re)lisons le roman. Avoir pu séparer les deux œuvres, est une véritable réussite.
Au festival Etonnants Voyageurs, Jean Claude Carrière propose sa différence entre l’écrivain oriental et l’écrivain occidental. « L’Oriental garde son chapeau en public alors que l’Occidental l’enlève ». Crédit photographique : © 2013 Véronique Samson.
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Syngué Sabour a été projeté à Kaboul à diverses occasions, l’une pour un comité de sélection de films présentés aux oscars, l’autre à la faculté des Beaux Arts. Il circule aussi en DVD et sur internet en Afghanistan et en Iran. Quant à l ‘accueil qui lui a été réservé, il est très positif dans les milieux féministes. On pouvait se l’imaginer. Par contre, dans les milieux de femmes un « peu religieux », l’auteur précise : « elles sont prêtes à payer pour qu’on te coupe la tête » !
Les difficultés pour produire un tel film ont été de deux ordres. D’une part, trouver un producteur pour financer un film en persan n’a pas été simple. Un producteur avait envisagé Penelope Cruse pour jouer en anglais le rôle de la femme. Pour Atiq Rahimi, c’était impossible. Il était clair que le tournage se ferait en persan, même si le roman a été écrit en français. Il a donc fallu réduire le budget.
Par ailleurs, trouver une actrice pour incarner le rôle de la femme s’est avéré très délicat. Atiq Rahimi a cherché parmi les actrices afghanes et iraniennes. Finalement, il a rencontré Golshifteh Farahani chez Jean Claude Carrière. « Quand j’ai vu l’actrice, je suis tombé parterre devant sa beauté. Mais en même temps j’ai hésité dans mon choix car je ne voulais pas que sa beauté l’emporte sur le personnage, sur la personnalité de la femme et sur l’histoire. J’ai parlé avec l’actrice et derrière cette beauté, j’ai vu une personnalité, un art, une grande artiste, une grande comédienne ».
Golshifteh Farahani est certes d’une grande beauté mais cela ne l’empêche pas d’être d’une grande finesse et d’une grande justesse. La beauté n’est pas forcément un obstacle à l’intelligence et ça c’est valable pour toutes les femmes !
Pierre de patience c’est un film, c’est aussi un roman. Bravo pour ces deux œuvres sensibles, sensuelles et troublantes.
Voir la bande annonce de Syngué Sabour
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