Le procès en appel d’AZF suit son cours et les plaidoiries des parties civiles sont terminées.
Au cœur de l’affaire, deux entreprises, Grande Paroisse et Total mais comme le souligne Maitre Bisseuil, « nous avons un alignement impeccable des systèmes de défense ». Elle rajoute « s’il y a bien deux entités, qui se défend ? C’est bien Total ! ».
A la barre : deux hommes. Serge Biechlin et Thierry Desmarest, ce dernier le plus souvent absent. Tout comme le rappelle Maitre Cohen, « ce n’est pas parce qu’une organisation est cloisonnée, ou qu’une organisation ressemblerait à un arlequin fait de tissus en pièce, qu’il faut s’en tenir à telle ou telle partie du corps et oublier le cerveau», justifiant ainsi la citation en appel de Total et de son représentant.
Par ailleurs, sur un même site, nous sommes en présence de deux zones différentes : le Nord et le Sud, de deux hangars, le 221 et le 335 et de deux produits chimiques différents et incompatibles : le nitrate d’ammonium et le DCCNa qui est un dérivé chloré, fabriqués sur le même site (fait unique en Europe).
Si la piste chimique est pour la majorité des parties civiles l’unique cause de l’explosion du 21 septembre 2001, la défense réfute cette thèse et prétend « nous ne connaissons pas la vérité mais ce n’est pas la thèse chimique» !
Or, pour le président de la chambre, Bernard Brunet, il faudra rendre un seul et unique arrêt en prenant compte les deux visions. Comment alors tous les débats tenus jusqu’à présent devront converger en une seule décision ? Regardons cela de plus près !
Les juges de la Chambre d’Appel de Toulouse devront découvrir la vérité à travers la vision des parties civiles et de la défense. Tous espèrent que le flou soit dissipé… Crédit photographique : © 2012 Véronique Samson
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Dans sa plaidoirie, Maitre Levy demande à ce que le jugement de 1re instance soit réformé car de nombreuses fautes ont été commises par Serge Biechlin. « C’est l’accumulation des fautes qui a causé l’explosion ». Ingénieur chimiste de formation, « il connaissait la dangerosité des nitrates, et leur pouvoir détonant« . Par ailleurs, l’usine étant classée Seveso 2, il aurait dû respecter les obligations que ce classement implique et surtout rendre étanche la barrière qui devait exister entre les zones Nord et Sud.
En ce qui concerne le hangar 221 (destiné au stockage des nitrates), il fait la liste des dix fautes retenues :
- l’insuffisance des consignes d’exploitation transmises aux sous-traitants,
- la présence de nitrates souillés,
- la présence de nitrate industriel et de nitrate agricole dans la même aire de stockage,
- la configuration de stockage,
- le dépassement du seuil critique de stockage,
- l’absence de surveillance,
- l’absence de système de chauffage,
- le mauvais état de la dalle sur laquelle les nitrates étaient entreposés,
- l’absence de formation sécurité du personnel.
Maitre Cohen renchérit en pointant que dans cet atelier ouvert aux quatre vents, on y pataugeait dans des flaques, car l’humidité remontait par capillarité.
Cette description du 221 met à mal la vision de Serge Biechlin qui en 2001 déclarait cette usine « en parfait était de marche et moderne ».
Mais ce n’est pas tout, car le hangar 335 joue un rôle majeur dans cette catastrophe. C’est là que les sous-traitants lavaient les sacs souillés. Maitre Bisseuil relève « la carence de l’industriel dans la gestion des déchets sur l’ensemble du site ». Car il semble que l’on ait mélangé déchets industriels spéciaux (DIS) et déchets industriels banals (DIB), or les procédures à suivre dans leur gestion sont différentes et donnent lieu à des circuits précis et des fiches de suivi. Tout cela est précisé dans l’arrêté préfectoral en vigueur. Il n’a pas été respecté. « On n’a pas assez dit que le 335 était un lieu de croisement de produits incompatibles dans la chaine causale » rajoute Maitre Levy.
Maitre Levy représente des salariés d’EDF victimes de la catastrophe d’AZF. Crédit photographique : © 2012 Véronique Samson.
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La thèse chimique repose aussi sur une benne dans laquelle étaient entreposés des produits chlorés et qui est allée à l’atelier 221 entraînant ainsi le mélange des nitrates et des produits chlorés, c’est le trichlorure d’azote (NCl3), conduisant à l’explosion.
Cependant, tous ces faits étaient déjà établis en première instance. Alors s’il n’y a rien de nouveau, que cherche-t-on en appel ?
La décision du juge de première instance de relaxer les prévenus, se basait sur le fait que « le lien de causalité doit être direct et certain« . Or cette fameuse benne blanche n’a pas été analysée, précise la partie civile, pire cette benne a disparu. La quantité de DCCNa découvert par M. Fauré dans l’atelier 335 a fondu au fur et à mesure des témoignages (de 500 kg on est passé à 150 kg), les prélèvements des experts missionnés par la CEI (commission d’enquête interne constituée par des experts de Total) au 335 ont fondu aussi et aucun résultat ne sera transmis. Le soi-disant inventaire de sacs est très flou. Les rapports de la CEI s’appauvrissent au fil de l’enquête. Les parties civiles accusent donc Total et la CEI d’avoir fait disparaitre ces pièces à conviction, ces chainons manquants qui auraient établi de manière claire la culpabilité des prévenus. Maitre Bisseuil conclut : « le groupe Total qui s’était engagé dans la recherche de la vérité, l’a mise à la recherche des ses intérêts privés« .
Les victimes représentées par Maitre Bisseuil ainsi que par ses consœurs et confrères ne veulent ni d’une vengeance, ni d’une justice compassionnelle, ils veulent simplement la justice. Quant à l’absence de la benne, de cette preuve certaine, Maitre Bisseuil dit qu’il ne faut pas que les juges soient « paralysés. Il faut remplacer l’absence de pièces à conviction, on peut retrouver autrement ». En fait, elle estime que tous les éléments sont déjà dans le dossier. « La sanction doit être prononcée. La justice est la balance et aussi le glaive » dit-elle pour conclure sa plaidoirie.
Quant aux conclusions de la défense, les plaidoiries commenceront la semaine prochaine.
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