Ray Bradbury est mort à Los Angeles la semaine dernière à l’âge de 91 ans. Mais qui ne connait pas Ray Bradbury ? C’est bien-sûr l’auteur, entre autres, de Fahrenheit 451.
Ce roman est tiré d’une nouvelle intitulée « Le Promeneur » écrite en 1951. Il s’agit d’un homme arrêté par une voiture-robot. Il est emmené pour subir des analyses cliniques car il marche dans la nuit pour observer la réalité non-télévisée et préfère respirer l’air non-conditionné. Deux ans plus tard, Ray Bradbury reprend donc sa nouvelle et la transforme. Il réutilise aussi ses notes prises sur les pompiers. L’homme devient une femme. Il ne s’agit plus de télévision mais de livres. En neuf jours, son roman Fahrenheit 451 est terminé.
Il imagine une société totalitaire, dans laquelle il est interdit de lire. Ceux qui sont pris, sont incarcérés et les livres sont brûlés. Certains ont choisi de fuir et de vivre dans une forêt. Ce sont les « hommes-livres ». Chaque personne a choisi son œuvre préférée qui est apprise par cœur pour en transmettre le contenu aux générations futures.
Ce sont ces trois éléments qui ont séduit le réalisateur François Truffaut lors d’un diner chez Melville où il est question de science fiction et du roman de Bradbury. En 1961, il lit Fahrenheit 451 ainsi que les autres livres (le Promeneur, Chroniques martiennes…) de Ray Bradbury et un an plus tard il négocie les droits d’adaptation du livre. Il tourne le film en 1966 dans les studios anglais de Pinewood avec Julie Christie (qui a joué dans Docteur Jivago) et Oskar Werner (le personnage de Jules dans Jules et Jim) ainsi que Cyril Cusack. Fahrenheit 451 est le seul film de François Truffaut tourné en langue anglaise et à l’étranger (sauf les scènes du monorail).
François Truffaut filme de manière extraordinaire les livres qui brûlent, se racornissent, se noircissent (*). Les livres sont considérés comme dangereux et pervers, il faut donc les détruire. Montag, le pompier joué par Oskar Werner, découvre pour la première fois une vaste bibliothèque comprenant entre autres les livres de Sartre, Balzac, Queneau, Genet, Dostoïevski, Turgenief, Brontë, Miller…et Les histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, qu’il sauve des flammes.
Bibliothèque – Crédit photographique : © 2012 Véronique Samson
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Et oui, qu’espère trouver Montag dans les livres ? Le bonheur ? Pour le capitaine pompier, Montag est un idiot, car dit-il, ce tas de contradictions (les livres) n’est « bon qu’à vous faire perdre la tête ». Et de rajouter : « réfléchissez à cela, il n’y a pas deux de ces livres qui soient d’accord entre eux. Rendez-vous compte à quel point les soit-disantes recettes du bonheur se contredisent les unes les autres et qu’elles portent en elles-mêmes une condamnation sans appel ».
Dans un long monologue, le capitaine tenant Madame Bovary dans les mains, nous apprend que « les romans ne parlent que de gens qui n’ont pas existé, ils donnent à ceux qui les lisent le dégoût de leur propre vie et la tentation de vivre une existence impossible ». Ecrire un livre ne serait dû qu’à la volonté d’un auteur de se distinguer, de pouvoir regarder de haut tous les autres. « Dès qu’un homme l’a lu tout entier (le livre), il se prend supérieur aux pauvres types qui ne l’ont pas lu. Vous voyez, c’est nuisible car il faut que nous soyons tous pareil… Seule l’égalité peut assurer le bonheur de tout le monde, alors il faut brûler tous les livres».
Montag échappe à ce monde infernal, où le travail des pompiers ne consiste plus à éteindre les incendies mais à les allumer pour détruire les livres. Il se retrouve dans une forêt poétique où chaque «homme-livre» apprend son livre préféré par cœur. Ainsi, il rencontre Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Ulysse de James Joyce, En attendant Godot de Samuel Becket, La question juive de Jean Paul Sartre, les Chroniques martiennes de Ray Bradbury….Montag, devenu désormais homme-livre, s’appelle les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe qu’il apprend par cœur.
En fait, Ray Bradbury développe dans Fahrenheit 451 un thème qui lui est cher et qu’il a déjà abordé dans les Chroniques Martiennes. Dans ce dernier, nous sommes supposés être en avril 2036 dans la ville martienne d’Usher II. Stendhal se venge de Garrett, inspecteur de l' »Ambiance morale ». Vingt ans auparavant alors que Stendhal habitait encore sur la planète Terre, l’autodafé avait déjà eu lieu : … »nous étions quelques citoyens à avoir nos bibliothèques personnelles, jusqu’à ce que vous envoyiez vos hommes avec leurs torches et leurs incinérateurs pour me déchirer mes cinquante mille volumes et les brûler… » .Il s’en suit une brève histoire de cette vengeance dans laquelle Stendhal tue « des personnages éminents, éminentissimes, du premier au dernier, membres de la Société pour la Répression de l’imaginaire, partisants de l’abolition d’Halloween et de Guy Fawkes, tueurs de chauves-souris, brûleurs de livres, brandisseurs de torches ; de bons citoyens, des gens très bien, tous sans exception… ».
Compte tenu du fait qu’en France et en 2012, un grand lecteur est celui ou celle qui lit dix livres par an, la question du livre reste encore bien posée, même si nous ne les brûlons plus. Fahrenheit 451 et les Chroniques Martiennes sont de véritables plaidoyers pour les livres. Toujours d’actualité, Ils continuent à nous faire réfléchir.
(*) fahrenheit 451 correspond à la température à laquelle un livre s’enflamme et se consume.
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